« L'essentiel dans cette manière d'arriver est d'agréer maints soufflets et de savoir avaler une quantité de couleuvres : M. de Talleyrand faisait grand usage de ce régime des ambitions de seconde espèce. »
Chateaubriand - Mémoires d'outre-tombe
Une des multiples origines de l’expression “avaler des couleuvres” est de nature gastronomique. C’était l’heureuse époque où les demoiselles anguilles pullulaient dans les rivières de France et où leurs abris ne se composaient pas encore de bidons et de bouteilles crasseuses, réceptacles mortifères de saloperies diverses et variées…
Donc loin d’être un plat prestigieux, l’anguille était, à l’époque, ce que le hamburger est aujourd’hui pour l’adolescent boutonneux ou les tomates “bio de circuit court” pour le bobo soucieux d’éthique. Quelques antiques farceurs eurent alors l’idée, pure facétie de potache, de mêler à la matelote persillée quelques tronçons de couleuvres, afin de mieux profiter du spectacle des crédules gobeurs de n’importe quoi… Il arrivait que l’ infortuné convive fasse preuve de clairvoyance, mais il ne pipait mot, la peur du scandale étant bien plus forte que le plat saumâtre servi à un nigaud…
Certains chercheurs de peccadilles proposent plutôt une interprétation trompeuse entre le terme couleuvre et couleur, pourquoi pas? Donner des couleurs à gober, c’est un peu plus gai. Il est vrai qu’une bonne couche de peinture peut vous faire passer une antique pétoire pour le summum de la technique automobile, un peu de fard sur une grimace rend toute suite les choses plus supportables.
Le serpent de l’Eden qui provoqua un joyeux patacaisse dans les vergers célestes en bradant à vil prix la Royale Gala à cette niaise d’Eve était-il couleuvre? En l’absence de squelette, la confusion est permise.
Arsène Muselier, héros de Marcel Aymé, digne fils de la terre, cul-terreux matois ne fit pas, lui, l’erreur d’avaler les couleuvres de la Vouivre, femme? femme-serpent? serpent-femme? Arsène est raisonnable et n'osera pas ruser afin de s’emparer du fabuleux bijou de la Vouivre, il préférera combattre les serpents que les avaler ce qui est moins indigeste.
Mais que les petits malins ne s’amusent pas trop de la crédulité des naïfs. Les candides ont su cultiver cette particularité comme une qualité de cœur. Sous un air bonhomme, ils sont très capables de discerner l’ombre d’un soupçon de malice. Par souci de pudeur ou par délicatesse, ils préfèrent jouer les imbéciles, c’est bien plus reposant.
Tel le dieu Janus, les crédules ont deux visages : l’un d’innocence souriante, gourdiflot béat traversant les marécages des passions humaines ; l’autre de scepticisme amusé mêlé d’un voile de mélancolie, les plus belles choses sentent parfois un peu le moisi…
La conclusion de cette réflexion ‘reptilo-gastronomique” s’adresse aux satisfaits, aux fats, aux outrecuidantes baudruches piétinant les rêves et les sentiments des naïfs.
C’est cette célèbre phrase de Georges Courteline :
“Passer pour un idiot aux yeux d'un imbécile est une volupté de fin gourmet…”
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