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lundi 11 septembre 2023

Dedans, dehors!


Comme le définit Antoine de Baecque dans son histoire de la marche, je suis un homme du dedans. Un homme du dedans qui a besoin du dehors… 

Marcher est un exercice subtil, bien plus élaboré que l’on puisse l’imaginer. Les chemins se lisent par expérience directe, le toucher, la vue, l’odeur. La carte n’est qu’un prélude, le menu avant le festin.

Pour pouvoir écrire dedans, il me faut marcher dehors. Peu importe le lieu… Chemins côtiers ou paysages urbains, le chemin s’interprète comme un livre, une œuvre d’art. Le sentier possède ses propres strates, historiques, sociologiques, émotionnelles. La marche est un paradoxe sans dissonances pour l’homme du dedans : c’est une pratique individuelle qui ouvre sur le monde, les autres… Qu’importe votre allure! Toute compétition ici, se révèle stérile, le sentier est épicurien avant toute chose, sinon il est dépourvu du moindre sens.

Mettre un pied devant l’autre active les neurones et augmente autant la capacité respiratoire que l’intelligence du cœur. Gandhi et Martin Luther King étaient des arpenteurs, des organisateurs de longues marches. Hommes du dedans parcourant l’espace des hommes et  des idées, influenceurs du dehors…

Marcher, particulièrement dans la nature, change le regard sur l’humanité et pousse à vivre autrement avec, en filigrane, ce que Thoreau appelle “The wild”, la sauvagerie…

Homme du dedans, homme du dehors, il n’existe pas de dualité, il ne subsiste que l’humanité.





 

dimanche 6 août 2023

L’arbre de vie et le chant des marées.



Les physiciens et astrophysiciens nous démontrent chaque jour ce que nous disent les panthéistes et les bouddhistes depuis des millénaires. Notre monde n’est que vibrations… Le désarroi contemporain s’explique peut-être par le manque de ressenti. On décrète l’usure du monde par un mauvais usage du monde.

On déplore la pluie, le vent et le fracas des tempêtes, oubliant trop souvent que ce ne sont que de simples manifestations de la vie. Il faut avoir les pieds campés sur le rivage lorsque l’océan donne des coups de boutoir au granit pour comprendre le chant des marées. La sérénité n’est que la faculté d’accepter ces forces qui nous dépassent et de respecter ce monde qui peut paraître brutal mais qui est si fragile car tout est lié, interconnecté et interdépendant. Nous ne sommes qu’un infime maillon d’une chaîne infiniment complexe. S’extasier devant la ramure de l’arbre n’interdit pas de comprendre que ce qui est caché, le système racinaire, s’étend de manière analogue et constitue l’ensemble de l’arbre. Comprendre ce que l’on ne peut voir est une manière de ressentir. 

Notre vibration dans cet univers est éphémère, un battement de paupières dans l’histoire du temps. Les choses essentielles sont très souvent anodines, ignorées et oubliées pour la plupart d’entre nous… L’odeur de la terre après la pluie, la vague qui s’étend sur le sable, le vent du matin dans les feuilles et la lumière vivante du crépuscule, autant de vibrations essentielles qu’il n’est pas nécessaire d’expliquer.

Préserver l’arbre de vie, écouter le chant des marées et  vibrer à l’unisson… Pratiquer l’usage du monde sans l’user davantage  car nous ne sommes propriétaires de rien, juste de la faculté de ressentir…



 

samedi 29 avril 2023

LE CULTE DÉVASTATEUR DU « BON VIEUX TEMPS »






LE CULTE DÉVASTATEUR DU « BON VIEUX TEMPS »

 par Pierre-Antoine Delhommais

    Article paru dans la Revue des Deux Mondes en avril 2019.


Si la passion des commémorations officielles en tout genre n’y avait pas suffi, le mouvement des « gilets jaunes  » est venu rappeler, avec ses « cahiers de doléances » et ses références permanentes à la Révolution, le pouvoir de fascination et d’attraction que le passé et l’histoire continuent, de nos jours encore, d’exercer sur les Français. Mais il a également reflété, d’un éclat fluorescent, le pessimisme structurel d’un pays dont témoignent depuis plusieurs décennies toutes les enquêtes internationales mesurant le « bien-être » des populations; ce déficit de bonheur et cette insatisfaction collective s’accompagnent d’une défiance aiguë et généralisée des citoyens à l’égard des « élites », des dirigeants politiques, des chefs d’entreprise mais aussi des syndicats, des médias, des experts, à l’égard enfin de la mondialisation et de l’avenir. Autant la révolte des étudiants de mai 1968 regardait résolument vers le futur avec l’optimisme propre aux utopies, rêvait de construire une société radicalement nouvelle, autant celle des ronds-points de novembre 2018 apparaît dominée par le pessimisme et la noirceur, tournée vers le passé avec la volonté de revenir à des temps anciens perçus comme bien plus heureux que les temps présents.


Dans leur essai Les Français, le bonheur et l’argent (1), les économistes Yann Algan, Elizabeth Beasley et Claudia Senik affirment qu’il existe un lien fort et étroit entre le pessimisme des Français et leur nostalgie du passé, illustrée par les résultats de ce sondage: à la question « si vous aviez le choix, à quelle époque souhaiteriez-vous vivre? », 5 % seulement des personnes interrogées répondent « une époque future », 25 % « l’époque actuelle » et une écrasante majorité, 70 %, « une époque passée ». « Il est fascinant de constater la survalorisation du passé et le peu d’appétence pour l’avenir », observent les auteurs. D’où peuvent bien venir, dans notre pays, une telle « survalorisation du passé » et cette nostalgie du « bon vieux temps » qui en découle? D’abord de la présentation qui continue d’être faite auprès du grand public, par le biais notamment des émissions télévisées ou des films à succès, d’une histoire de France limitée à la vie de ses élites privilégiées, de ses rois et de ses reines menant grand train, mais qui

ignore très largement le sort misérable que connaissait l’immense majorité de la population. Un exemple très révélateur: les critiques gastronomiques parisiens les plus en vue célèbrent aujourd’hui volontiers la cuisine « des terroirs », versent presque des larmes en évoquant l’authenticité, la qualité et la saveur à jamais perdues des mets d’autrefois, des gibiers en sauce, alors que durant des siècles, le menu unique et parfaitement monotone du paysan français – majoritaire dans la population jusqu’en 1930 – consistait en une soupe aux choux ou aux fèves, agrémentée les jours fastes d’un morceau de lard et dans

laquelle on trempait un morceau de pain de seigle rassis. La vérité historique est que dans les dits « terroirs », on crevait très souvent, au sens propre du terme, de faim.

Cette vision idéalisée du passé vient aussi d’un récit national très soigneusement « photoshopé », si l’on peut dire, mettant en avant les moments glorieux de notre histoire mais passant sous silence ses

épisodes les plus sombres. il est étonnant de constater que   la mémoire collective ait retenu du règne

de Louis XIV les fastes de Versailles et le génie de la littérature classique mais oublié « l’effroyable hécatombe » provoquée par la grande famine de 1693-1694, avec son million et demi de morts.

C’est dans cette même logique que le roman national s’est construit des âges d’or imaginaires, baptisés a posteriori d’appellations enchanteresses comme « Belle Époque » ou « trente glorieuses ». Comme si la Belle Époque avait été belle pour les 170 000 bonnes à tout faire – et souvent le pire – qui vivaient en 1900 à Paris ou pour les mineurs de fond des houillères de Lorraine ou du Nord travaillant dans des

conditions épouvantables et dans l’angoisse des coups de grisou et de la silicose. Quant aux fameuses « trente glorieuses », célébrées de nos jours avec des trémolos dans la voix par les déclinistes, le terme « glorieuses » fait peu de cas du fort creusement des inégalités qui fut observé au cours de cette période « bénie », de la terrible pauvreté qui sévissait alors dans les campagnes et chez les personnes âgées, du sort des centaines de milliers de travailleurs immigrés vivant dans des bidonvilles infestés de rats, ou encore de l’air totalement saturé en dioxyde de soufre qu’on respirait à pleins poumons dans les grandes villes – les émissions de SO2, responsables du smog, ont diminué de 96 % en France depuis leur pic atteint en 1973.

           Toujours est-il que ce récit historique très embelli contribue à renforcer le sentiment omniprésent de déclin et de déclassement collectif que les Français éprouvent aujourd’hui et dont ils rendent responsables une mondialisation censée avoir fait perdre au pays son rang d’hyperpuissance économique mondiale. Mais, là encore, la mémoire collective se révèle trompeuse. Au temps supposé de sa plus grande gloire, celle du Roi-Soleil, la France ne représentait, selon les calculs de l’économiste britannique Angus Maddison, que 5,7 % du PIB mondial, contre 24,4 % pour l’Inde et 22,3 % pour la Chine. Le même constat vaut en matière monétaire, avec cette idée que l’euro aurait mis fin au règne souverain de la grande monnaie qu’était le franc. La réalité historique est que celui-ci n’a jamais été, sur la scène internationale, une devise de référence. Ce passé idéalisé accentue, par contraste, le regard exagérément noir que les Français portent sur les temps présents, dans un déni complet du progrès et de l’amélioration globale des conditions de vie.

          Ils ont ainsi le sentiment de vivre dans une société extraordinairement violente, alors que celle-ci ne l’a jamais été aussi peu: notre pays n’a pas connu de guerre sur son sol depuis plus de soixante-dix ans, ce

qui ne s’était jamais produit de toute son histoire; le taux d’homicides se situe aujourd’hui en France autour de 1 pour 100 000 habitants, soit deux fois moins qu’en 1900, trois fois moins qu’en 1800, dix fois moins qu’en 1700, quarante fois moins qu’en 1500; au cours des vingt-cinq dernières années, enfin, le nombre d’homicides a baissé de 40 % en France, passant de 1 406 en 1994 à 825 en 2017.

           Regretter le passé en commençant par dénigrer les jeunes générations

         

      De la même façon, les Français sont convaincus que jamais les inégalités n’ont été aussi grandes dans notre pays, alors que les statistiques indiquent le contraire: le niveau de vie des 10 % de Français les plus

riches est aujourd’hui 3,5 fois plus élevé que celui des 10 % de Français les plus modestes, un rapport qui était de 4,6 en 1970, de 10 en 1900 et de 20 en 1800. Les Français semblent aussi avoir oublié

qu’ils travaillent beaucoup moins durement que leurs aînés (1600 heures de durée annuelle aujourd’hui, 2200 heures en 1960, 3000 heures en 1840) et dans des conditions de pénibilité et de dangerosité sans comparaison avec les époques passées, même récentes (le nombre d’accidents mortels du travail a été divisé par quatre en soixante ans, revenant de 2 046 en 1955 à 514 en 2016).

Ce déni du progrès s’explique d’abord par une mémoire courte des malheurs: qui parle encore de la variole, éradiquée en 1980, laquelle causa dans le monde au cours du seul XXe siècle la mort de 400 millions de personnes, trois fois plus que les guerres? Il s’appuie aussi sur le fameux « paradoxe de Tocqueville » qui indique que plus un mal devient rare, plus il est jugé insupportable. Avec un taux de mortalité infantile tombé aujourd’hui à 3,6 pour 1000 naissances (contre 15 % en 1900 et encore 5 % en 1950), le décès d’un bébé est de nos jours logiquement vécu comme une tragédie épouvantable et une injustice inacceptable. Il n’en allait forcément pas de même au milieu du XVIIIe, quand un enfant sur quatre n’atteignait pas l’âge d’1 an, au point qu’un proverbe pouvait dire, avec une froideur réaliste qui

aujourd’hui nous glace: « Petit enfant, petit deuil ». Ce déni du progrès résulte enfin du fait que les bonnes nouvelles, parce qu’elles ne font pas de « buzz », se trouvent peu relayées par les

réseaux sociaux et les médias, notamment par les chaînes d’information en continu, qui leur préfèrent les catastrophes de toute nature et les faits divers sordides. La conséquence de ce biais dans l’information est le sentiment très dominant dans l’opinion publique que « les choses vont de plus en plus mal ». Un exemple édifiant: 94 % des Français sont persuadés que le nombre de personnes vivant sur la Terre dans la pauvreté extrême (avec moins de 1,90 dollar par jour) a stagné ou augmenté au cours des vingt-cinq dernières années, alors qu’il a diminué en réalité de plus de moitié, passant de 1,9 milliard en

1990 à 750 millions en 2016.

La petite chanson du « c’était mieux avant » est certes vieille comme le monde. À toutes les époques, les hommes ont eu l’étrange manie de regretter le passé, en commençant par dénigrer les jeunes

générations. « Cette jeunesse est pourrie jusque dans le fond du cœur, est-il écrit sur une poterie vieille de plus de 3 000 ans découverte dans les ruines de Babylone. Les jeunes gens sont malfaisants et paresseux, ils ne seront jamais comme la jeunesse d’autrefois. Ceux d’aujourd’hui seront incapables de maintenir notre culture. » Si elle a toujours existé, cette chanson ne fut toutefois longtemps fredonnée que dans de petits cercles d’intellectuels un brin dépressifs.

Si des Michel Onfray, Patrick Buisson, Éric Zemmour ou Michel Houellebecq perpétuent de nos jours cette tradition, la nouveauté est que la petite musique décliniste est maintenant largement dif-

fusée dans toutes les catégories de la population. La nostalgie du « bon vieux temps » occupe même une place centrale dans les discours politiques populistes ou radicaux. À l’extrême droite, c’est la nostalgie d’une France blanche et pure, « celte », sans immigrés venus d’Afrique. À l’extrême gauche, c’est la nostalgie des temps révolutionnaires et des grandes luttes ouvrières, la dénonciation aussi d’une mondialisation libérale menaçant le modèle social élaboré par le Conseil national de la Résistance. Chez les écologistes extrêmes, enfin, c’est la nostalgie d’une France préindustrielle, non polluée par les pesticides, par les gaz à effet de serre et par la croissance et dans laquelle les loups vivaient nombreux et heureux. Le clivage entre progressistes et déclinistes est même devenu politiquement plus pertinent, à bien des égards, que le clivage traditionnel entre gauche et droite, avec le risque probablement sous-estimé que finisse par s’opérer une convergence de tous ces anti-modernes, allant des amis des loups aux ennemis des Noirs en passant par les nostalgiques des hauts-fourneaux.

Estimer que le regret exacerbé et presque névrotique du passé est en France une conséquence des difficultés actuelles, c’est raisonner à l’envers. C’est le culte du « bon vieux temps » qui porte au contraire

une lourde part de responsabilité dans la crise globale que le pays traverse et dont le succès du mouvement des « gilets jaunes » a permis de mesurer l’ampleur. C’est cette nostalgie mortifère qui explique la haine et le ressentiment des Français contre les temps présents et surtout la

peur panique qu’ils ont de l’avenir, de la modernité, du changement, du progrès, du mouvement. C’est elle qui permet de comprendre le refus collectif, depuis des décennies, du peuple et de ses élus, d’entreprendre les réformes nécessaires pour adapter l’économie française à la nouvelle donne de la mondialisation. C’est cette nostalgie, enfin, qui explique la tentation suicidaire du repli sur soi, avec l’illusion que la France pourrait de cette manière retrouver une grandeur passée largement fantasmée tandis qu’individuellement chaque Français pourrait redécouvrir cette douceur et cette joie de vivre qu’étaient censés connaître nos ancêtres mais qui n’ont existé que dans l’esprit de ceux qui n’ont jamais pris la peine d’ouvrir des livres d’histoire.

En conclusion de son ouvrage Les Années de misère, Marcel Lachiver notait: « Je l’ai aussi écrit pour détruire ce mythe du bon vieux temps qui fascine un certain nombre de mes contemporains parce que

le présent leur fait peur. Si, pour reprendre une formule célèbre, l’histoire a pour objet “la résurrection du passé”, il ne faut pas perdre de vue que la vie se construit dans le présent et dans l’avenir. Le passé est

là pour fournir des points de repère et de comparaison; il n’est jamais bon de s’y réfugier tout entier. (3) » On ne peut mieux dire.

1. Yann Algan, Elizabeth Beasley et Claudia Senik, Les Français, le bonheur et l’argent, Rue d’Ulm, 2018.

2. Marcel Lachiver, Les Années de misère. La famine au temps du Grand Roi, Fayard

 

mercredi 15 février 2023

23 août...

 

Le soleil d’été exacerbe l’ombre sous le hêtre  pleureur. Accoudé à la table d’orientation, je contemple les brumes s’étirant sur la plaine.. Les silhouettes s’estompent en ce 23 août, et transforment le paysage en un autre temps mais en un même lieu.
23 août 1328… Campés sur les flancs du Mont Cassel, Nicolaas Zannekin, chevalier paysan  et ses insurgés regardent les 29 bannières de l’Ost de Philippe VI ravager les villages aux alentours. On lui a refusé de fixer “jour de bataille”, prétextant que les hommes de Flandre sont “gens sans chef”. Qu’importe, on attendra le soir. Les insurgés, descendant du mont silencieusement, vont mettre la panique chez les chevaliers en chemises et endormis. L’ost en déroute n’a que le temps de fuir vers Saint-Omer avec en tête l’image du carnage de Courtrai infligé à leurs pères par les hommes libres de Flandre.
Ils reviendront…
Zannekin et ses hommes forment le cercle et luttent coude à coude. L’ost du roi n’a cure des couteaux des insurgés, elle fauche à longueur d’épée les têtes en une moisson sanglante… Il n’y aura aucun survivant. Le soir d’été descend sur Cassel en flammes, et la sinistre silhouette  du comte du Hainaut se découpe sur le rouge horizon, le prélude d’une guerre à venir qui va durer 100 ans…
“ Papy! On va manger une crêpe?”
Le soleil a tourné, et le songe éveillé est terminé… Derrière le tronc du Hêtre des rencontres, une présence éthérée se dessine. C’est Nicolaas Zannekin qui me rappelle que les Flamands ont survécu, au creux des ruelles et sur les flancs du Mont, les bannières ont pâli, la colère est restée.
Mais c’est l’heure du goûter, descendons vers la place…


samedi 4 février 2023

Lectures croisées...

 





Jérôme Bosch, ce peintre fascinant qui restera à jamais une énigme  continue d’exercer son influence même en ce début du 21ème siècle .  Mon intérêt pour ce peintre a débuté très tôt et par un souvenir extrêmement précis (et très ancien…). C’est lors d’une visite de classe  aux Palais des Beaux Arts de Lille, en CM1…  Que je suis tombé en arrêt sur une toile de Dirk Bouts (datée vers 1450-1468) :  La Chute des damnés. Contemporain de Bosch.  Ces bons primitifs flamands ne pouvaient  qu’ intéresser un demi-flamand à moitié primitif tel que  moi… C’est probablement  à partir de ce jour  qu'a prospéré mon goût pour le fantastique, cet intérêt est toujours présent.

Le mystère Jérôme Bosch se lit comme une enquête miroir à travers le temps, avec une érudition, une imagination et une réflexion intelligente pour l’ésotérisme qui baignait la vie quotidienne des lettrés d’alors…. Jubilatoire comme peuvent l’être les livres du regretté Umberto Eco.

“Le peintre dirigea son regard vers la partie supérieure du volet droit, où des créatures dantesques surgissaient du ciel et de la terre pour punir Nabal. Même dans ses pires cauchemars, il n’avait jamais vu de pareils monstres.

«Que se passe-t-il dans la tête de cet homme pour qu’il peigne de telles horreurs? Est-il possédé par le diable ou son imagination est-elle simplement plus fertile que la nôtre?»

Petronius avait sursauté en entendant la voix de Baerle derrière lui, mais s’était aussitôt ressaisi.

«C’est un don très rare de pouvoir donner forme aux peurs indicibles des hommes, répliqua-t-il. Ces êtres fantastiques incarnent la terreur qui habite certaines de nos visions nocturnes.»

(Le mystère Jérôme Bosch - Peter Dempf)



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Le mystère Jérôme Bosch - Peter Dempf


2013 : Madrid. Le Prado. Le Jardin des délices, célèbre triptyque du peintre flamand Jérôme Bosch, a été vandalisé par un prêtre dominicain. Le religieux, convaincu que l’œuvre dissimule un dangereux secret susceptible de nuire à l’Église, a lancé du vitriol sur le tableau avant d’être maîtrisé par les gardiens du musée.

Restaurateur de tableaux, Michael Keie se voit confier la tâche délicate de remettre le triptyque en état. Très vite, il fait une découverte stupéfiante : à plusieurs endroits, les couches de peinture altérées laissent transparaître des symboles cachés. Avec l’aide de son collègue madrilène Antonio de Nebrija, un vieil érudit fantasque, Keie va tenter de déchiffrer ces signes étranges.

1510 : Petronius Oris arrive à Bois-le-Duc dans les Flandres pour travailler aux côtés de Jérôme Bosch. Alors que la cité est envahie par les sbires de l’Inquisition, Petronius découvre que Bosch, initié à un secret hérétique, travaille en secret à un mystérieux triptyque.

Avec ses deux enquêtes parallèles, l’une dans le présent, l’autre dans le passé, qui se font écho pour percer le secret du célèbre Jardin des délices, Peter Dempf fait preuve d’une incroyable érudition et nous offre un suspense magistral qui tient en haleine jusqu’à la dernière page.

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Chez Pocket.


Peter Dempf a été professeur d'histoire et de littérature allemande avant de collaborer à différents journaux allemands. Il écrit pour la jeunesse et pour les adultes.

Il a publié depuis 1983 une quinzaine de romans, des recueils de poèmes et des nouvelles.

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 Pour s’imprégner de l’atmosphère et en complément de lecture, L’Oeuvre de Jérôme Bosch chez Taschen.



mercredi 1 février 2023

Le luxe...

Lu aujourd’hui ce commentaire d’une lectrice concernant Christian Bobin et Sylvain Tesson : “Ils vivent ce qu’ils pensent…”. Il vivait en ce qui concerne Bobin…  Mais il n’a pas véritablement disparu, il est présent  par ses écrits intemporels. 
Le luxe absolu, c’est celui-là. Vivre ce que l’on pense et avoir l’opportunité de se faufiler dans les minuscules interstices que l’existence peut procurer. Les circonstances parfois vous ouvrent des portes insoupçonnées, ouvertes sur la liberté, la liberté de vivre ce que l’on pense.
Encore faut-il avoir la conscience aiguë de ces privilèges qui permettent une disponibilité d’esprit.
        Entreprendre des travaux conséquents est un peu comme entreprendre une randonnée inconnue, une minuscule aventure. Les aventures sont pleines de surprises et d’infimes embûches…  Parfois, il faut l’admettre cela agace, une fuite d’eau (ce si précieux breuvage qu’il ne faut pas gaspiller), une vanne qui rend l’âme et, la fatigue aidant, vous voilà au bord de l’abîme, écopant la misère de l’univers, une serpillère à la main… 
Et puis… Une nouvelle vous saute au yeux : La fondation Abbé Pierre donne ce chiffre effarant, il y a dans ce pays, 330 000 sans-logis, un chiffre qui a doublé en dix ans… Pour certains, pour beaucoup, pour trop… Les embûches peuvent être redoutables et devenir des tsunamis. Donc, vous mouchez votre nez avec le côté le moins humide de votre serpillère et vous vous dites que finalement avoir une vanne qui fuit signifie beaucoup de choses.  Tout d’abord vous avez de l’eau en suffisance et même davantage, vous faites des travaux d’embellissement, dans votre maison, une maison bien chauffée et agréable, une cuisine où il est bon de mijoter des recettes et des projets, cette vanne est “votre” vanne.  Vous songez que bientôt, aux beaux jours, vous  allez arpenter les sentiers et dormir ailleurs (dans votre roulotte confortable ou sous la tente ou  dans un gîte à la campagne  ou à l’hôtel) et non par nécessité mais pour vos loisirs…
Alors la fuite hein? Demain ou après-demain, tout rentrera dans l’ordre… 
Posséder une  conscience affutée, toujours attentif à la chance d’être préservé et vivre ce que l’on pense. Ce  luxe inouï,  cette  richesse d’esprit et la lucidité d’être libre, des dispositions  que je souhaite à beaucoup...

dimanche 22 janvier 2023

Jour après jour...

 


Ce n’est qu’un petit frémissement. Le bonhomme hiver a encore deux mois de vie devant lui, il est loin d’être en soins palliatifs … Pourtant, lorsqu’il fait une journée lumineuse, la clarté  joue les  minuscules prolongations, grappillant minute par minute, le droit de vivre.

La mécanique n’est plus grippée, la carlingue s’est pris trois ou quatre chocs, mais rien qui n’empêche le redécollage… Il suffit d’étoffer un peu les trains d'atterrissage dans les semaines à venir et  c’est reparti pour un tour de piste …

Pour l’heure, la remise en forme se fait au milieu des pots de peintures et autres revêtements de sol, ce qui est également une minuscule aventure à vivre. L’escabeau n’est pas le plus barbare des agrès, les projections d’enduits sont plus efficaces que les projections démographiques et mesurer un sol est bien  plus intéressant que quantifier des données technocratiques à multiples inconnues. Rien ne vaut le concret, la matière et le travail manuel pour passer la saison hivernale. 

La forme physique connaît des hauts et des bas en  une infinité de cycles irréguliers. Se remettre en forme est similaire à la pratique du mandala de craie utilisée par les moines tibétains. Un travail patient et rigoureux avant d’effacer l’ensemble d’un coup de pied. Et le cycle recommence … C’est l’impermanence des choses qui donne du prix aux moments paisibles. Sans méforme, comment se réjouir d’être en forme?

Un petit frémissement, une lueur qui perdure… Jour après jour, c’est un bon jour!


jeudi 19 janvier 2023

La musique des mots.


Quittant les ombellifères ouvertes au soleil levant ou l’Achillée mille-feuilles séchant sa rosée, Prosopis Annulata part se reposer à l’ombre. Posée sur une épine de Travertin, elle se sait rapide et ne craint pas la pétrification. La nature possède ses propres horloges que nul homme ne remonte.

La richesse de la mélodie des mots… Nous pourrions dire aussi, une abeille, après son butinage,  se pose sur le bord d’une stalactite… Il existe tant de variations …

C’est la richesse du vocabulaire qui donne le ton à la langue, les mots forment un univers que l’on ne finit jamais de découvrir. Un mot précis pour une idée précise, quel bel exemple de concision dans une époque confuse et brouillonne.

Salut Prosopis Annulata, avec un si joli nom, je me garderai bien de t’écraser par mégarde …




 

lundi 16 janvier 2023

La mère de tous les maux


Ne pas choisir une vie à attendre mais préférer une vie à apprendre. Nul besoin de grandes démonstrations pour souligner que la mère de tous les maux reste l’ignorance. L’ignorance et sa sœur, la paresse. L’obscurantisme et son corollaire, la violence, sont des hydres qui ne sommeillent jamais tout à fait. Bertrand Russell, mathématicien, logicien et considéré comme l’un des plus grands philosophes du 20ème siècle, résumait cette carence partagée universellement dans l’humanité en deux phrases : “ L’ennui en ce monde, c’est que les imbéciles sont sûr d’eux et les gens sensés pleins de doutes…”, et “ Ce que les hommes veulent en fait, ce n’est pas la connaissance, c’est la certitude. ”
S’efforcer de ne pas céder aux idées reçues est un entraînement de chaque jour et qui se prolonge  toute l’existence. Faire évoluer son regard et son mode de pensée sur le monde qui nous entoure demande une adaptation perpétuelle car rien, absolument rien, n’est statique. Une telle philosophie demande une caractéristique : l’humilité… J’ai parfois l’habitude de demander à mes interlocuteurs : “Expliquez-moi comme si j’étais un enfant de cinq ans?”, et c’est toujours très intéressant. Nul ne possède le don de l’omniscience, chacun est doté d’une capacité  plus ou moins importante d'imagination, sans imagination pas de savoir, et sans humilité pas de connaissance…  Même si au regard de l’existence humaine qui est un battement de cil à l’échelle du temps cosmique, cette quête est une gageure, elle est, pour moi, une philosophie de vie.
“Tu vois, il n’est jamais trop tard pour apprendre et même si, dans la vieillesse, l’étude n’apporte plus une lumière étincelante mais la flamme vacillante d’une bougie, celle-là est encore préférable à l’obscurité.” Passagère du Silence - Fabienne Verdier


dimanche 15 janvier 2023

8h00 du matin...

 






C’est un de ces matins remarquables, un de ces  moments d’exception. L’écran plat  insipide et bavard est ici remplacé par la porte-fenêtre donnant sur le parc. Il règne un tel silence que lorsque vous reposez la tasse de café  sur le guéridon, vous avez l’impression de faire un raffut d’enfer. Heureusement, il n’en est rien…

C’est d’abord une petite harde de chevreuils, ils viennent  brouter l’herbe tendre à l’orée, la mère lève sans cesse la tête, surveillant ses petits… C’est un moment tellement fort que, simultanément, vous avez les poils de bras qui se dressent et les yeux qui piquent. D’un bond, les voilà partis dans la lisière ombragée. Comme un ballet bien dirigé, un père (où une mère…) lézard vient se chauffer les écailles au premiers rayons matinaux et l’écureuil, à distance,  lui fait escorte… Le petit rouquin prudent s’est mis à couvert, il a vu avant moi, messire Rapace qui vient inspecter les environs, histoire de compléter son maigre brunch…

Cette scène automnale s’est passée sur l’espace de trois ou quatre minutes, mais elle semble avoir duré une éternité. 

C’est pour ces moments là que j’existe, des moments où l’harmonie entre vous et la nature est totale. Rien n’est plus sacré que le vivant…

Les arbres bruissent et s’agitent…  On ne les voit déjà  plus mais on devine leurs petits locataires discrets et attentifs. Hier soir, en passant devant la fenêtre et en allumant la lampe du couloir, un grand Duc invisible, mais à moins d’un mètre,  a fait entendre son cri d’indignation. Pardon Monseigneur, demain nous serons plus attentifs, en n’oubliant pas que… Tout est là… Dehors!



vendredi 13 janvier 2023

Instinct vigilant.



Il n’est pas nécessaire de trouver un sens à la marche du monde. Il suffit de donner un sens et une cohérence à son propre parcours. Pour cela, il suffit d’élaguer… Tailler, trancher, couper, débroussailler tout ce qui vous bouche l’horizon. À la soixantaine bien frappée, si vous avez déblayé le superflu, vous êtes à  l’os, à l’essentiel. Votre horizon épuré de la  brume des illusions est clair et seul le souffle du vent dans les arbres est un discours acceptable. Dans les villes encombrées aux tumultes incessants, les inquiets perpétuels ont perdu leur chemin. La haute mer est l’une  des réponses à cette perpétuelle angoisse, la montagne également… Enfin, la  vraie montagne, pas le décor de carton-pâte,   pompe à fric avec canons à neige et tire-fesses à pognon pour écureuils en mal d’espace. Les grands plateaux déserts sans touristes sonores, bien trop sonores… Uniquement le bruit des branches se délivrant des neiges de la nuit et les traces du blanchon sur la piste.
Mon seul point de vue sur le margouillis permanent reste  l’humour. L’humour envers tout, absolument tout. Sans jugement irrévocable (j’ai dépassé depuis bien longtemps cette vaine agitation), souvent avec la causticité nécessaire pour rendre plus respirable cette époque confuse. J’ai toujours eu horreur des foules et de leurs mouvements, des opinions toutes faites dont l’origine n’est jamais clairement établie. Josef Kirschner a écrit quelque part :
“Tout ce qui contribue à nous faire précipiter nos gestes, à alimenter nos peurs et tout ce qui nous empêche de nous fier à nous-mêmes, est totalement superflu dans nos vies.” C’est une bonne définition pour lutter contre  la moderne médiocratie : cette éphémère illusion dont la fermentation produit    trop de bruits parasites, trop de vaines agitations, trop de confusions, trop de vide… Le vide obscur et stérile, pourvoyeur de “bore out” trop souvent confondu avec le "burn-out", et non le vide bénéfique que l’on rencontre au sein de la nature, celui-là nécessaire…
S’être affranchi de la comédie sociale où le plus grand nombre évolue est un grand privilège et le reconnaître est une  sagesse. C’est la mise en œuvre optimale des cinq sens qui est la seule clef pour mettre fin à sa quête de sens. C’est aussi simple que cela. Perfectionner son instinct vigilant …
“Je ne pense pas que l'attirance pour les lieux déserts , les conditions élémentales et la pierre brute soit inhumaine , je pense au contraire que cela donne à l'être humain une base authentique.
Il existe quelque chose comme un ton de base , parlé, joué ou écrit, que l'on peut entendre tout autour de la terre .
Une fois que l'on s'est accordé à sa longueur d'onde, une grande part de ce que l'on appelle "culture " se révèle de peu d'importance , pour ne pas dire futile ,et sonne creux .
Peut-être toute vraie culture se fonde-t-elle sur ce ton de base et s'élabore-t-elle à partir d'une dimension fondamentale qui est le lieu d'une austère jouissance.” La Maison des marées (Kenneth White)
 

jeudi 12 janvier 2023

Évolution n’est plus révolution…

 

L’une des particularités de ce pays (et elles sont nombreuses…), c’est cette gourmandise pour un conservatisme permanent. La population ne cesse d’accuser les institutions d’immobilisme mais ne tolère absolument aucune réforme, même la plus modeste… Le conservatisme est partagé par l’ensemble des citoyens, un intégrisme renforcé par l’individualisme forcené, ce mal contemporain qui ne cesse d’étendre ses métastases. Le délitement du mouvement syndicaliste en est la représentation. Les syndicats professionnels sont anachroniques et ne  proposent qu’un modèle de société obsolète, vieillot. Reprenant une argumentation appuyée sur un passé lointain où les revendications sociales prenaient leur véritable sens. La nature n’est jamais immobile, le monde de 2023 n’a qu’un très lointain rapport avec le début du vingtième siècle. Le changement n’est pas synonyme de danger, c’est souvent tout le contraire. “L'enfant a envie d'évoluer. L'adulte fait tout pour ne pas changer.” Laurent Gounelle

Lorsque l’on parle de crise psychologique, ce n’est pas exagéré. Constater de la nostalgie chez de jeunes adultes est un signe de déséquilibre sociétal. Le passéiste monopolise la parole et use et abuse de ce droit ad nauseam….  Les modèles politiques et économiques du 20ème siècle ne sont plus conformes. Les sujets d’inquiétude des plus jeunes relèvent de l’environnement  et de la préservation d’une planète aux ressources limitées et non de la défense de la consommation sans fin et du consumérisme effréné de ces quarante dernières années… Et il faut s’en réjouir. Le repli sur soi, l’angoisse entretenue par les partis extrémistes relève du mythe. Les grands combats sociaux font partie des livres d’histoire, c’est un fait qu’il faut admettre. Apprendre à vivre autrement n’est pas synonyme de vivre moins correctement. Cette nation baigne dans d’éternels anachronismes et n’arrive pas à se débarrasser des scories de l’histoire dans sa quête de modernité. Apprécier Germinal de Zola est infiniment honorable, l’honnêteté intellectuelle impose pourtant de replacer les grandes luttes sociales dans leurs contextes. La Chine des mandarins n’existe plus, l’Inde est sur la route des grandes puissances et l’Afrique, lorsqu’elle se sera débarrassée définitivement  de son histoire coloniale, se transformera à son tour… C’est le monde où vivront nos petits-enfants avec ses combats, ses injustices et ses satisfactions mais ce n’est déjà plus le nôtre. “Le secret du changement consiste à concentrer son énergie pour créer du nouveau, et non pas pour se battre contre l'ancien.” Dan Millman



 

Au commencement…

Un bruit se fit entendre dans le sous-bois, peut-être était-ce une branche. Son craquement sec et sonore piqua la curiosité de l’animal. Pui...