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mardi 10 janvier 2023

Collecter les battements d’ailes …


Écrire c’est observer et tenter de fixer dans le temps :  un moment, une sensation, un instant fragile et impalpable. C’est une gageure qui rend heureux, une pratique de vie comparable à l’éthique de l’alpiniste : un acte magnifique parce qu’apparemment inutile à la majorité des hommes. On écrit comme on grimpe, on écrit comme on marche, parce que l’on ne peut faire autrement… Et le reste devient superflu.
Il n’y a pas de tour d’ivoire, ni de reclus dominant la cité, c’est un cliché. Uniquement  un certain goût pour la solitude, une solitude bienveillante. Lorsque le monde va trop vite, il est judicieux de s’en abriter le plus possible. Chaque livre ouvert est une rencontre. L’intemporalité de l’écrit est une révélation admirable. Un être humain mort depuis des siècles vous parle… Une femme résidant sous d’autres cieux, dans un autre continent, vous raconte son quotidien. Un livre vous envoie vers un autre livre, comme une embarcation sur la rivière, de rochers en rochers… 
À l’image de Nabokov, collectionneur et spécialiste émérite des papillons, l’écrivain collecte d’impalpables sensations, de fugaces impressions. Fixer un battement d’ailes, c’est déjà le trahir… C’est fragile comme un flocon de neige ou la lumière de l’aube sur la banquise.
“Y-a-t-il une relation entre l'œuvre scientifique et l'œuvre littéraire de Nabokov? Il est difficile de résister  à la tentation de comparer Lolita à un papillon, surtout la Lolita vue à travers l’amour immense et désespéré de Humbert Humbert. …/…  C’est probablement vrai. Nabokov a écrit : “Un écrivain doit avoir la précision d’un poète et l’imagination d’un scientifique.”  Carlo Rovelli - Écrits vagabonds.
C’est la perception de ce  battement d’ailes qui, paradoxalement, donne une juste mesure à la fragilité de l’existence. C’est peut-être pour ces raisons, que l’agitation ambiante semble vaine et sans conséquences? Il est stupide de vouloir contrôler tous les paramètres. Combien de passants rencontrés et usés  de cet épuisement stérile…  Ce n’est pas arpenter et grimper  le glacier qui est inutile, c’est traverser l’existence sans avoir conscience de la chance d’être en vie. 
“Faire ce que l’humain peut, laisser le Ciel faire le reste”. En effet, une fois que les conditions et les chances sont réunies, et que l’homme a réalisé ce qui est en son pouvoir, ce qui ne doit pas venir ne viendra pas, et ce qui doit venir viendra.” François Cheng - L’éternité n’est pas de trop.
Que fait le collecteur de battements d’ailes après la moisson? Il continue inlassablement. Car la récolte n’a pas de fin, si ce n’est celle du moissonneur… Il arpente d’autres chemins, il s’investit dans d’autres quêtes. Il est Don Quichotte sur sa Rossinante marchant vers l’horizon où l’attendent déjà d’autres moulins. On écrit comme on grimpe, on écrit comme on marche, parce que l’on ne peut faire autrement… Et  le reste devient superflu.

“Adieu mon livre, adieu ma page écrite,

Se détachant de moi comme une feuille,

Me laissant nu comme un cliché d’automne.

…/…

Un autre livre, une parole neuve,

Les mêmes mots dans d’autres mariages

Et toujours l’homme et son tapis volant.”  (Icare et autres poèmes - Robert Sabatier)


 

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