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jeudi 7 juillet 2022

C'est maintenant...


 “Notre vie est-elle autre chose que ce ballet de formes éphémères ? Tout ne change-t-il pas continuellement ? Les feuilles des arbres dans le parc, la lumière dans la pièce où vous lisez ces lignes, les saisons, le temps qu'il fait, l'heure qu'il est, les personnes que vous croisez dans la rue ? Et qu'en est-il de nous ? Toutes nos actions passées ne nous apparaissent elles

pas aujourd'hui comme un rêve ? Les amis avec lesquels nous avons grandi, les lieux de notre enfance, les points de vue et opinions que nous défendions autrefois avec tant d'opiniâtreté : tout cela, nous l'avons laissé derrière nous.
Maintenant, à cet instant, lire ce livre vous semble tout à fait réel. Pourtant, même cette page ne sera bientôt plus qu'un souvenir. Les cellules de notre corps meurent, les neurones de notre cerveau se détériorent ; et même l'expression de notre visage se modifie sans cesse, au gré de nos humeurs. Ce que nous considérons comme notre caractère fondamental n'est rien de plus qu'un« courant de pensée ». Aujourd'hui, la vie nous semble belle car tout va bien ; demain, ce sera le contraire. Où sera passé notre bel optimisme ?
De nouvelles influences nous auront affectés, au gré des circonstances. Nous sommes impermanents. Les influences sont impermanentes. Et il n'existe rien que l'on puisse qualifier de stable ou de durable.
Qu'y a-t-il de plus imprévisible que nos pensées et nos émotions ? Avez-vous la moindre idée de ce que vous allez penser ou ressentir dans un instant ? Notre esprit, en réalité, est aussi vide, aussi impermanent et aussi transitoire qu'un rêve.
Observez une pensée :elle vient, elle demeure et s'en va. Le passé est passé, le futur ne s'est pas encore manifesté et la pensée actuelle, au moment où nous en faisons l'expérience, se mue déjà en passé.
En réalité, seul l'instant présent, le "maintenant ", nous appartient.”
Le Livre tibétain de la Vie et de la Mort par Sogyal Rinpoché


C’est la vision de notre propre vie qui donne la mesure du regard que l’on porte sur le monde où nous vivons. Le mot que l’on entend le plus souvent de toutes les bouches est sans conteste le mot : PEUR. La peur irraisonnée, souvent sans véritable objet. La peur distillée en goutte à goutte pour informer, diriger, soumettre, lisser, faire croire que…

Pourtant si vous observez autour de vous, vous constaterez que le courant ne coule que dans un seul sens : de l’amont vers l’aval et c’est la seule certitude que l’on peut avoir. Lorsque vous rencontrez une embûche, un problème. Soit vous trouvez une solution et le souci sera résolu, soit il n’y a aucune solution et s’angoisser ne servira à rien et ne vous débarrassera pas du problème, donc…

C’est notre nature éphémère qui est, paradoxalement, la clé de notre joie de vivre. Ce n’est pas par  manque d’empathie ou de compassion que nous pouvons nous dispenser de contribuer au mal-être général. Hier après-midi, dans un cimetière de campagne, un homme âgé entretenait la tombe de son épouse. Sans amertume, il considérait l’assemblée réunie à quelques stèles de là pour un autre adieu au monde des hommes.  Il nous dit simplement : “voyez-vous, messieurs dames, nous ne sommes rien… Un battement de cil, un souffle”. Et cette simple et éternelle philosophie, “que vous soyez puissant ou misérable…” résume ainsi la valeur de la vie. L’instant présent est à vivre… Pleinement… Parce qu’hier ne laisse que quelques effluves qui s’évanouissent au matin et demain dévoile furtivement un horizon qui se brouille tel un mirage… Ne reste que maintenant, c’est le très célèbre dialogue de Charlie Brown avec Snoopy :

-Un jour nous allons mourir Snoopy.

- Oui, mais tous les autres jours nous allons vivre…

Voilà qui est infiniment précieux.










 

Froidureux Pantin...

 

Février est un mois revêche comme une gouvernante aigrie… Certains jours, il compense son triste état par de magnifiques ciels bleus. Une fourberie de plus lorsqu’il fait moins quelque chose en centigrades (mieux vaut éviter la conversion  en fahrenheit, beaucoup plus déprimante…) Qu’importe, les gouvernantes aigries ont droit au maquillage, le fard masquant l’acrimonie pour un instant.
On se met à rêver à de longues escapades le long d’une grève à marée basse, scrutant l’estran et les flaques sans cesse renouvelées. Crevettes et crabes mous se partagent la colocation avant que je passe ramasser le loyer… À la montante, dans le ressac, ce petit monde goûtera au premier flot, un lancer à droite de la tête de roche, un autre à gauche selon le jeu changeant des courants de marée. De grands lisses d’eau  se troublent en friselis, dessous le substrat est plus lourd, personne ne le voit, sauf vous… Et les bars sont méfiants comme des douaniers! Le flux et le reflux forment d’éphémères rivières où les sprats insouciants paradent en procession.
On se met à rêver à des nuits d’été pour observer la petite faune des bois. Rester les yeux grands ouverts dans l’obscurité pendant le premier quart d’heure, moment où la pupille se dilate au maximum… Et devenir un héros aux supers pouvoirs : les yeux moins efficients laissent la place à l’ouïe et les bruits familiers deviennent un concert : l’aboiement d’un chien, le pas d’une vache dans le pré voisin, un moteur très lointain, tout cela s’estompe et avec de la patience dans le sombre de la nuit, vous entendrez le frou-frou d’un oiseau qu chasse et vous regarderez virevolter les chauves-souris autour des arbres bruissants…. Une certaine idée de l’éternité.
On se met à rêver à des travaux essentiels : appuyer quelques bois morts sur un  tronc ou sur une roche pour se confectionner une cabane abritant des regards et du vent, retrouver les gestes de nos vieux camarades du paléolithique...Rajeunir de 40 000 saisons, rien de tel pour se sentir vivant…  Écouter la lente conversation  des grands arbres ignorant les humains et ne s’en trouvant pas plus mal.
On se met à rêver à  des traversées de nature en toute discrétion en veillant à causer le moins de dérangement possible. Sans mouvements brusques et en silence, contre le vent pour ne pas déranger le brocard étonné ou l’écureuil indifférent.
Février n’est pas éternel, il a beau se masquer, il ne trompe personne… Ce ne sont pas les crêpes qui nous feront aimer ce froidureux pantin.
Il vaut mieux se  cacher et se mettre à rêver...
 

Dune inconnue.

 

Derrière l’école de voile, la mer mugit  dans le vent frais du début de l’aube.
C’est  une brise solitaire,  parfumée des senteurs incertaines  de l’automne, qui s’engouffre dans les rues du bourg. Elle est  chargée des effluves de la  marée montante. Un combat paresseux mené  à l’assaut des dunes fauves et pâles, les remparts poudreux que garde la sentinelle sentinelle assoupie du sémaphore…
La demie de sept heures approche : Au loin, de l’autre côté de l’eau, sous la danse effrénée des nuages d’altitude, une lueur rose commence  à monter.
Considérant le panorama, depuis sa fenêtre, le grand Sam examine plus attentivement l’embarcation qu’il a amenée au sec sur le môle désert avant de rentrer. il a  traversé des palanquées de  marées ce Zodiaque qui rôde  d’ordinaire sur le détroit au rythme des saisons... «Une échappée de plus… » Pense-t-il , levant  sa grande carcasse raidie du lit de sangles, antique héritage  d’un surplus militaire.
Une sortie de plus…  Une sortie qui s’ajoute à toutes les autres  de cet  exil vieux de cinq ans, et qui déjà s’estompe, comme cette marée de septembre,  le grand chambardement des vagues dans le matin blafard.
 Une existence bien réglée, sans autre plaisir que celui de pêcher et peut-être de la joie toute simple de peindre, de regarder la lumière, le ciel et la mer, sans penser aux jours anciens. Juste ce qu’il faut pour ressentir la volupté sombre et frelatée de la nostalgie, sans jamais montrer plus d’angoisse qu’il ne faut pour traverser les semaines, les mois, l’existence…
Chaque jour, il se lève avec l’aube et il regarde par la fenêtre dans la lumière feutrée d’une veilleuse, il pense à cette ombre . Il lui parle, il lui conte  à mi-voix de menus faits, il la voit même dans le ciel changeant du large.
Les jours s’enfuient comme l’écume mousseuse sur les algues du rivage. Il les sent partir au large doucement, malgré lui, journée après journée, sortie en mer après sortie en mer. Les jours qui fuient  vers l’horizon, les nuits ponctuées par le halo du port  qui veille  sur le travail des hommes. Le temps qui incline sa voile vers un continent dont il n’a plus peur. De quoi devrait-il avoir peur ? De qui ? Peut-être de lui-même, tout simplement. Il a  tracé sa route sans se retourner et en s’efforçant de ne blesser personne. Il a vécu comme il a pu, comme la plupart des hommes sur cette terre, qui apprennent très tôt que le monde n’est pas une propriété… Un  emprunt temporaire à court terme, tout au plus…
De l’autre côté de la rue, la lumière s’allume dans cette clarté douce qui semblait la véritable couleur du jour. Il y a peu  de monde en ce moment, plus d’enfants, la saison est terminée depuis plus de trois semaines. La chaude saison estivale avec ses gamins qui gambadent sur la digue, ses glaces en cornets, pastels frais et odorants. Les soirées douces à la terrasse du café Popieul, à raconter toujours les mêmes histoires de mer… Simplement, cette année, il ne refera plus le monde avec son vieil ami Serge Contesse, le vieux bougre est parti peindre ses drôles de personnages sous d’autres cieux, sous une autre voûte… On se croit mèche, on n’est que suif… Chantait l’autre… N’empêche, ces départs successifs lui laissent un sale goût d’amertume dans la bouche, comme la première bière du jour.
Igor, l’épagneul, n’aime pas la belle saison, la plage n’est  plus son domaine. Il n’a plus le droit d’y paraître, il ne lui reste plus que le jardin, insuffisant à son besoin d’indépendance. Septembre annonçait donc  le retour des galopades effrénées sur le sable, le furetage délicieux dans les dunes, flairer la laisse de mer à marée basse, la vie…
Humant l’odeur du café, le petit chien roux s’étira et vint se lover contre son maître.
Salut camarade...
Le chien remue la tête, c’est  là toute sa conversation et cela suffit amplement à Sam. Il a quelqu’un à aimer, c’était déjà beaucoup si l’on désire que l’existence de temps à autre soit un peu plus supportable.
La bouilloire chante sur le gaz de camping, et, sur la table trône un immense bol bleu. La cheminée ronfle tranquillement, séchant doucement l’humidité des murs. La fraîcheur s'annonce tôt sur la côte.
Sam est sorti  dans l’aube légère qui exhalait toujours son haleine salée, un  petit matin  clair  comme un carreau de faïence. Comme chaque jour, il regarde au loin, vers l’ouest qui fait vibrer l’horizon, puis il s’appuie  à la barrière de bois peinte en bleu.
Il était maintenant levé, le soleil de septembre, et il lui semble  déjà plus brillant que d’habitude, celui-là.
Ce vendredi, certainement, arriveraient des nouvelles du monde d’avant, de vagues amis, perdus de vue depuis longtemps.  
Sam était un rescapé de l’apparence… Un naufragé sortit indemne de l’océan du clinquant et du superficiel. Une existence différente, plus âpre, plus sauvage ou naturelle, se cache  au creux des dunes…
Une fois la transformation accomplie, les “amis” avaient commencé à se faire plus rares, c'était il y a longtemps, dans un autre monde. Sam s’était arrangé pour les oublier, maintenant il n’en éprouvait même plus le besoin, c’était terminé, c’était trop tard. Les anciennes soirées de lumières illusoires, de dîners plantureux s’évanouissaient lentement sous la poussière de sable et les saisons. 
L’éclat de son regard s’était adouci, certains esprits chagrins diraient terni, mais, ce n’était pas là le terme exact. Il n’y avait ni rancune, ni aigreur dans ses pensées, il n’aspirait plus qu’à la paix, il avait vu trop de gens aimés disparaître autour de lui pour pouvoir encore éprouver de la colère. Tout cela était terminé. 
Sam était persuadé  qu’il existait  dans le vent marin venu d’Angleterre, dans le clapotis du ressac, sur les dunes blanches, dans le ciel frais du matin au-dessus de la petite ville endormie, plus de trésors qu’aucun homme ne pourrait jamais en posséder, la paix n’existe que si elle est acceptée.
Il haussa les épaules,  retournant dans la cuisine après avoir jeté un dernier regard vers le bateau pneumatique qui s’offrait, consentant,  à la marée.Dans son dos, le chien tournait sur lui-même, à la poursuite d’une queue inexistante.
Vers Douvres, le vent montait doucement. La silhouette d’une jeune femme se découpait sur la digue lumineuse, le souvenir de Marie était présent, tranquille… Sam ébauche un sourire… D’une inconnue, il se souvient de la douceur…

“Il est possible de marcher sur l’eau de la mer juste à la lisière des vagues, sur l’eau durcie par le sable et faire ainsi d’infinis périples sans éprouver le besoin de consulter la moindre carte ni de demander son chemin.”  Eugène Sawitzkaya


Le jour se lève...

 

Un  matin froid et  humide pointe à l’horizon. On dirait un décor de cinéma. Un vieux film expressionniste allemand avec des noirs profonds et des blancs blafards. Les immeubles aux alentours se dressent comme des vaisseaux de guerre. Bientôt débutera la période tapageuse de l’agitation vaine des hommes.  l’étrange paysage  retombera dans son  anonymat industriel, comme une scène de déjà vu, au journal de vingt heures… Toute la magie s’effacera.

Bien entendu tout cela est subjectivité, impressions personnelles. Décrire ce n’est pas trahir la réalité, c’est une interprétation qui aide à vivre. Comme l’écrivait Marcel Havrenne, poète belge et oublié… Dans le halo d’un Louis Scutenaire :

“De la rose longuement et amoureusement décrite, il s’exhalait une agréable odeur d’encre fraîche.” J’aime à ce que mes matins sentent l’encre et le papier, le café également…

Sous  les toits de ma ville il y a des pensées qui cabriolent, elles sont paisibles et claires comme des regards de gens aimables que le soleil va éclairer. Des pensées qui gambadent, intemporelles, fragiles et impalpables. Le vent monte un peu, peut-être chassera-t-il les nuages du fanatisme?  Les prêcheurs de bonnes paroles, ceux qui par leur silence ratifient de sombres ignominies. Il faut se garder que les pensées s’étiolent et que les passions se fanent et se perdent dans la suie. Elles sont nos libertés…

Un reste de lune pâle fait les murs mystérieux comme des fantômes de comédie - avec leurs ombres bleues, mouvantes le long des rues luisantes.

Les cris plaintifs des mouettes vibrent  dans le ciel plombé, les oiseaux gris et blancs aux ailes immobiles font d’éphémères sculptures. Les fenêtres s’allument, et s’ouvrent les volets rivetés, aveugles, la cécité d’une vie sans bois et sans collines. Le pas sonore d’un éboueur martèle le présent. Ils intriguent toujours un peu ces bruits au bord du temps…

C’est malgré tout une contrée fiévreuse de nuages trop bas. En attente d’autres jours, de parfums de blé mûr, de vent marin sur les digues… En attente de frénésie de bonheur, de sarabandes, de serpentins. Un pays bourru et bon enfant qui souvent, malgré lui, soulève son échine. Il règne en cette saison une stase un peu morose comme cette mélancolie légère des dimanches après-midi… Un immuable hiver avec des éclaircies pour rappeler au monde qu’ici l’on a été heureux.

Ce jour, pas de tumultes, nous sommes au-dessus des frayeurs, surplombant l’abîme insondable des jours. Des peines infinies certes,  mais la joie de se revoir et de se souvenir de chaque baiser donné et de chaque baiser reçu et de rappeler au monde qu’ici nous serons de nouveau heureux… Nous avons souvent chanté, incendié les rues et les boulevards, au bout des digues venteuses de février. Au bord des trottoirs mouillés où les néons blafards se reflètent aux couleurs criardes des masques grimaçants. Nous avons poussé, nos bras soudés s’étreignant sous la bise, nos chansons déchaînées par la vigueur du vent, nos berguenaeres immenses, parapluies de géants. Nous avons dansé, insatiable, la soif au bec, inventant nos grimaces pour oublier nos peurs. Nous avons soufflé dans les fifres de joie, ballotté par les houles de la joyeuse bande, emporté  par les chahuts. Et, toujours, nous persisterons à danser dans les lueurs du jour.  Seigneurs du port  déroulant le rigodon de notre long périple. Nous trinquerons aux jours meilleurs qui réchauffent la mer, oublierons  les chagrins où s’incruste la dureté des temps. Écrasant la grisaille, nous frapperons de nos pieds grelots le pavé luisant des chemins de l’espoir, joyeux lurons de cortèges excentriques. Se gaussant des grincheux, entre la mer et les cieux, nous resterons pour toujours Masquelours…

Mais rien n’est grave et tout est farce… Rire de tout.  Comment vas-tu y’au de poêle? Pas mal Akoff!!  Et comme l’écrivait notre oublié poète : “Le calembour, ce fils naturel de la métaphore, fait souvent penser au bricoleur qui décroche, en gaulant des noix, une étoile dont il ne sait que faire.”

Il est temps d’allumer un sourire à nos masques, c’est une façon polie de mépriser les temps… Un fifre dans la tête… Il reste l’écriture, ce pratique monologue et une passerelle jetée sur le silence, “Une certaine manière athlétique d’user de la parenthèse et de capturer le lecteur dans un grand filet de points de suspension.” Marcel Havrenne




Janvier est dur...


 Le vent agite les arbres du jardin. Cerisier décharné et pommier chevelu et ébouriffé, arbres citadins que l’on aime quand même. Janvier est dur aux végétaux. Le gazon moussu est une page verte. Cette année, contre toute attente, la ponctuation de la pelouse s’est enrichie d’une multitude de mésanges, de bouvreuils, d’exotiques perruches vertes qui donnent à la banlieue des airs de villégiature. Le chat Jules a beau se camper sur le bac à compost, “trop gros mon ami”, les petits camarades à plumes te passent sous les moustaches.

La campagne me manque un peu, mais ce n’est pas triste. Comme lorsque l’on pense à un proche éloigné, il nous manque, mais on sait qu’il se porte bien et on se réjouit de le retrouver un jour prochain. Et puis, la Flandre sans estaminets c’est un peu comme un théâtre sans spectateurs, ni acteurs.  D’ailleurs… Janvier est dur à la culture.
Les horizons et les grands ciels de plaines me manquent, les saules…
“Vous voyez? Je voyais. Cette lumière dorée, souple, soyeuse, que confère à l’herbe, aux pierres, à l’air même, un rayon de soleil dans le feuillage des saules tétards, cette lumière basse, triomphante par son humilité même, humaine par sa tendresse, aucun arbre ne l’autoriserait. Mais nous étions debouts dans l’hiver, la lumière des saules n’était qu’un souvenir.”. Le jour du chien - Caroline Lamarche.
Les saules tétards, rien que le nom… Moitié arbre, moitié créature de légende. Un cousin dans l’hirsutisme, pas une branche bien ordonnée. Arbre pêcheur, au bord de l’eau, improbable sentinelle des haies, montant la garde au pied de mes monts si chers.
C’est dans l’intemporel que l’on se guérit du quotidien, janvier est dur à l’évasion. 
Je crois entendre dans les branches des arbres de la ville, les flonflons lointains d’un rigodon carnavalesque… Ce n’est qu’une illusion. La Flandre sans clet’che ni tambours c’est un peu comme un cœur à l’arrêt.
La pluie a remplacé le vent, sur la page du gazon, la nuit est tombée. Janvier se meurt, bien fait pour lui…
“J’ai eu le sentiment qu’elle parlait de la lumière des saules comme on évoque un amour qui se termine, un pays que l’on quitte, une rive que l’on abandonne pour passer de l’autre côté.” Le jour du chien - Caroline Lamarche.

Le pays des gens vrais.

 


L'oeuvre et le cliché sont de Pascal MANITOBA - Anartiste
« À vous, monsieur, ami ou passant (peu importe) qui surgissez de la foule et me happez au passage, prenant masque et surnom ; à vous qui redoutez d’être seul ne serait-ce que l’espace d’une seconde et qui, pour échapper à ce vertige, adressez n’importe quelle parole à n’importe qui, fût-ce à un lépreux ; à vous qui prétendez disposer de ma personne, certain que votre main molle et votre œil vitreux me charmeront ; à vous qui m’appelez votre « cher » tout en crachant sur mes bottines, je ne puis que vous tenir à juste distance, vous dire que m’attendent d’indifférables devoirs. » Michel de Ghelderode – Nuestra Senora de la Soledad – Sortilèges.

                  Il y a un moment que je n’ai pas entrouvert la porte des chroniques… Le temps passe si rapidement lorsque l’on n’a rien à faire. Et puis vivre et parcourir les sentiers est bien plus intéressant que de conter de minuscules parcelles d’existence. Écrire n’est pas conter, conter c’est se livrer et se mettre en danger, je suis un grand bavard dans ma tête… Pour le reste… 
                  Néanmoins, l’été fut fructueux en rencontres, souvent furtives, mais toujours d’une intensité rare. Ce que j’aime à nommer le pays des gens vrais. Gens vrais, gens frais… Dans le sens rafraîchissant pour nos esprits englués dans un quotidien que l’on nous décrit bien trop souvent comme plat, gris et jalonné d’interdits divers et variés. Le véritable monde n’est pas ainsi… Mais les gens vrais se cachent bien à l’abri, du tumulte, d’un conformisme frisant la bêtise, d’une forme de violence cérébrale. C’est pourquoi, il est difficile de les rencontrer… Mes Flandres, elles sont multiples… Se remettent difficilement d’un été sec et brûlant, les pauvres étangs à l’étiage misérable laissent voir le dos de mes malheureuses carpes, vivement les grosses pluies d’automne.
                  Parfois, les gens vrais se retrouvent dans les replis des réseaux sociaux, ce nom prend alors tout son sens… Je pense à Didier et à son périple familial et Bulgare où l’émotion se mêle à l’humour objectif du vieux routier de la presse … De boutades en discussions de bouffe, du Finistère Sud où je comparais les vertus comparées de la cotriade et des galettes de blé noir jusqu’à la mer Noire c’est parfois magique la modernité… Certes, les gens vrais sont souvent rugueux comme les récifs du Cap Sizun, mais c’est le secret de leur humanité, sur les rochers on peut s’y amarrer, c’est du solide. Je pense à Pascal Manitoba et son périple astral, peintre protéiforme et solaire… Une personnalité qui cultive l’amitié et la liberté comme on bichonne un jardin, il est l’auteur du crâne en illustration... Car là aussi, la dérision est toujours présente, et pour ce prince de Motordu, vie et mort sont les versants d’une philosophie résolument optimiste…  Et puis, Zat Folk, animateur à Radio Uylenspiegel Folk Radio, au sommet du plus beau fleuron de la cordillère des Flandres. Un regard clair et un éclat particulier :  celui de la dérision, l’intelligence de ceux qui ont beaucoup vécu… Dans un estaminet (je sais… Mais c’est incontournable, s’il fait soleil, la terrasse te prend en otage… S’il pleut, tu n’as plus qu’à te réfugier à l’intérieur, un estaminet, c’est douillet comme un cocon), et l’Hommel Bier a le don de te transformer en papillon, toi qui n’es qu’une pauvre chenille… Enfin, c’est ce que l’on m’a dit…
         Avez-vous remarqué que certaines personnes ont le don de vous faire sentir plus vivants, plus vrais. Certaines régions également, Le Sud Finistère, La Bulgarie de Didier, le grand Sud et l’Aquitaine de l’anartiste Pascal et la Flandre de Zat Folk, ma Flandre qui est une région ouverte au monde mais qui garde son identité, vivre au pays ! Ce n’est pas un repli, tout au contraire… Ces moments et ces endroits privilégiés paraphrasant le titre de l’un des contes du recueil Sortilège de Michel de Ghelderode – Voler la mort.
         Ainsi, profitez de vos jours à venir, ne laissez pas filer le sable fin des jours entre vos doigts fébriles. N’oubliez pas que chacun peut parcourir le pays des gens vrais, nul besoin de bagages encombrants, juste une petite besace d’humanité et de bonnes chaussures. Ah ! Et un sourire, ça peut aider…

« L’avenir ? Mon avenir ?... Que m’importe !... Gardez vos brumeuses et très relatives prophéties… Je sais de quels petits ennuis et de quelles petites satisfactions sera tissée ma vie proche, et quant à connaître l’heure et la circonstance de l’inéluctable trépas, je m’en contrefiche !... »  Michel de Ghelderode -  Rhotomago – Sortilèges.


Heureux et simple d'esprit.

 




Pour Charlotte,
Continue de construire des cabanes contre les loups avec ta petite couverture bien douce… Et surtout ne grandit pas trop vite, les loups ne sont pas toujours ceux que l’on croit…

26 février de l’année 2019, et le soleil brille, rutilant. Le ciel, bleu comme la capote d’un poilu, caresse gentiment les tuiles rouges des maisons rectilignes. Je regarde par la fenêtre, un chat est juché sur le rebord d’un balcon, et la poussière brille sous le sapin, saupoudrant, aérienne et subtile, le gazon avec une délicatesse appropriée.


            La rumeur de la ville gronde en sourds borborygmes jusqu’à l’impasse. Les premières jonquilles sont frileuses et prudentes ; mais la lumière trompeuse les incite et les embobine jusqu’à ce qu’elles entrouvrent leurs corolles.  Il n’y a pas un seul nuage, ne subsiste plus qu’un pâle couvercle de faïence de Delft qui garde au chaud la rue paisible.
            Cela me rappelle une gravure qui se trouvait dans ma classe de Cours Élémentaire de l’école Michelet. C’était une gravure des éditions Bourrelier, d’une sérénité parfaite, qui représentait un jour de marché sur une place, la représentation d’un monde idéalisé. Des passants souriants et affables. Des marchands aimables et des écoliers rieurs posaient pour l’éternité…
            Il y a une phrase dans je ne sais plus quel Maigret de Simenon où le célèbre commissaire prononce cette phrase : « Tout petit, j’aurai voulu être raccommodeur de destins… »
            Les années ont passé et s’estompent maintenant dans la ronde incessante des jours. Je rêvais souvent lorsque j’étais enfant… Je rêve encore d’ailleurs. J’ignore ce qu’est devenu cette affiche ? Elle fait peut-être la joie d’un collectionneur qui s’achète des morceaux d’enfance de peur d’oublier cette candeur qui disparaît…
            Il me tarde de retrouver la douceur des jours, cette lumière si douce des après-midis de Flandre. Ces ambiances qui m’apportent la fraîcheur des jours d’avant… Ces balades qui me laveront la tête de ces trois derniers mois… Ces dernières semaines où j’ai entendu et vu ce qui semble être le pire de la nature humaine... Finalement, existe-t-il des destins qui méritent d’être réparé ? Il est permis d’en douter lorsque l’on voit les vieux démons ressurgir, les éructations et les vociférations gratuites et ineptes…
            A presque soixante ans, ma quête n’est charpentée que par la recherche de l’ignorance, car c’est cette simplicité, cette naïveté retrouvée des choses qui donne du sel à l’existence.
            Je suis dans le salon et me voilà à mon bureau ; près de moi, ma conscience poilue et soyeuse, la chatte Minouche dort comme une bienheureuse. Hier, deux ou trois perruches se sont posées dans le pommier pour y manger les graines déposées plus tôt…Il n’y a rien d’autre, uniquement l’essentiel.
            L’année dernière, au cœur de juillet, j’ai souvent écouté les silences de la nuit. Silence des plus relatifs d’ailleurs… On entendait le bruissement des feuilles, l’agitation des branches, toute la petite faune des bois qui tenait assemblée, au creux des taillis, loin des hommes. Et là, j’ai compris que le seul discours recevable était ce message, le seul langage recevable tel quel, sans interprétation aucune… Cet éloquent silence contenant toutes les philosophies du monde.
            A presque soixante ans, j’ai appris que pour avancer, il fallait oublier pratiquement tout ce que l’on avait appris, car seul l’instinct demeure et perdure.  Les discours creux ne sont souvent que les oripeaux d’une société malade de bruit et de fureur où le verbe avoir a remplacé le verbe être…
            J’ai la prétention de devenir un imbécile bienheureux et j’y travaille.


Loos, le 26 février 2019.



Au commencement…

Un bruit se fit entendre dans le sous-bois, peut-être était-ce une branche. Son craquement sec et sonore piqua la curiosité de l’animal. Pui...