Derrière l’école de voile, la mer mugit dans le vent frais du début de l’aube.
C’est une brise solitaire, parfumée des senteurs incertaines de l’automne, qui s’engouffre dans les rues du bourg. Elle est chargée des effluves de la marée montante. Un combat paresseux mené à l’assaut des dunes fauves et pâles, les remparts poudreux que garde la sentinelle sentinelle assoupie du sémaphore…
La demie de sept heures approche : Au loin, de l’autre côté de l’eau, sous la danse effrénée des nuages d’altitude, une lueur rose commence à monter.
Considérant le panorama, depuis sa fenêtre, le grand Sam examine plus attentivement l’embarcation qu’il a amenée au sec sur le môle désert avant de rentrer. il a traversé des palanquées de marées ce Zodiaque qui rôde d’ordinaire sur le détroit au rythme des saisons... «Une échappée de plus… » Pense-t-il , levant sa grande carcasse raidie du lit de sangles, antique héritage d’un surplus militaire.
Une sortie de plus… Une sortie qui s’ajoute à toutes les autres de cet exil vieux de cinq ans, et qui déjà s’estompe, comme cette marée de septembre, le grand chambardement des vagues dans le matin blafard.
Une existence bien réglée, sans autre plaisir que celui de pêcher et peut-être de la joie toute simple de peindre, de regarder la lumière, le ciel et la mer, sans penser aux jours anciens. Juste ce qu’il faut pour ressentir la volupté sombre et frelatée de la nostalgie, sans jamais montrer plus d’angoisse qu’il ne faut pour traverser les semaines, les mois, l’existence…
Chaque jour, il se lève avec l’aube et il regarde par la fenêtre dans la lumière feutrée d’une veilleuse, il pense à cette ombre . Il lui parle, il lui conte à mi-voix de menus faits, il la voit même dans le ciel changeant du large.
Les jours s’enfuient comme l’écume mousseuse sur les algues du rivage. Il les sent partir au large doucement, malgré lui, journée après journée, sortie en mer après sortie en mer. Les jours qui fuient vers l’horizon, les nuits ponctuées par le halo du port qui veille sur le travail des hommes. Le temps qui incline sa voile vers un continent dont il n’a plus peur. De quoi devrait-il avoir peur ? De qui ? Peut-être de lui-même, tout simplement. Il a tracé sa route sans se retourner et en s’efforçant de ne blesser personne. Il a vécu comme il a pu, comme la plupart des hommes sur cette terre, qui apprennent très tôt que le monde n’est pas une propriété… Un emprunt temporaire à court terme, tout au plus…
De l’autre côté de la rue, la lumière s’allume dans cette clarté douce qui semblait la véritable couleur du jour. Il y a peu de monde en ce moment, plus d’enfants, la saison est terminée depuis plus de trois semaines. La chaude saison estivale avec ses gamins qui gambadent sur la digue, ses glaces en cornets, pastels frais et odorants. Les soirées douces à la terrasse du café Popieul, à raconter toujours les mêmes histoires de mer… Simplement, cette année, il ne refera plus le monde avec son vieil ami Serge Contesse, le vieux bougre est parti peindre ses drôles de personnages sous d’autres cieux, sous une autre voûte… On se croit mèche, on n’est que suif… Chantait l’autre… N’empêche, ces départs successifs lui laissent un sale goût d’amertume dans la bouche, comme la première bière du jour.
Igor, l’épagneul, n’aime pas la belle saison, la plage n’est plus son domaine. Il n’a plus le droit d’y paraître, il ne lui reste plus que le jardin, insuffisant à son besoin d’indépendance. Septembre annonçait donc le retour des galopades effrénées sur le sable, le furetage délicieux dans les dunes, flairer la laisse de mer à marée basse, la vie…
Humant l’odeur du café, le petit chien roux s’étira et vint se lover contre son maître.
Salut camarade...
Le chien remue la tête, c’est là toute sa conversation et cela suffit amplement à Sam. Il a quelqu’un à aimer, c’était déjà beaucoup si l’on désire que l’existence de temps à autre soit un peu plus supportable.
La bouilloire chante sur le gaz de camping, et, sur la table trône un immense bol bleu. La cheminée ronfle tranquillement, séchant doucement l’humidité des murs. La fraîcheur s'annonce tôt sur la côte.
Sam est sorti dans l’aube légère qui exhalait toujours son haleine salée, un petit matin clair comme un carreau de faïence. Comme chaque jour, il regarde au loin, vers l’ouest qui fait vibrer l’horizon, puis il s’appuie à la barrière de bois peinte en bleu.
Il était maintenant levé, le soleil de septembre, et il lui semble déjà plus brillant que d’habitude, celui-là.
Ce vendredi, certainement, arriveraient des nouvelles du monde d’avant, de vagues amis, perdus de vue depuis longtemps.
Sam était un rescapé de l’apparence… Un naufragé sortit indemne de l’océan du clinquant et du superficiel. Une existence différente, plus âpre, plus sauvage ou naturelle, se cache au creux des dunes…
Une fois la transformation accomplie, les “amis” avaient commencé à se faire plus rares, c'était il y a longtemps, dans un autre monde. Sam s’était arrangé pour les oublier, maintenant il n’en éprouvait même plus le besoin, c’était terminé, c’était trop tard. Les anciennes soirées de lumières illusoires, de dîners plantureux s’évanouissaient lentement sous la poussière de sable et les saisons.
L’éclat de son regard s’était adouci, certains esprits chagrins diraient terni, mais, ce n’était pas là le terme exact. Il n’y avait ni rancune, ni aigreur dans ses pensées, il n’aspirait plus qu’à la paix, il avait vu trop de gens aimés disparaître autour de lui pour pouvoir encore éprouver de la colère. Tout cela était terminé.
Sam était persuadé qu’il existait dans le vent marin venu d’Angleterre, dans le clapotis du ressac, sur les dunes blanches, dans le ciel frais du matin au-dessus de la petite ville endormie, plus de trésors qu’aucun homme ne pourrait jamais en posséder, la paix n’existe que si elle est acceptée.
Il haussa les épaules, retournant dans la cuisine après avoir jeté un dernier regard vers le bateau pneumatique qui s’offrait, consentant, à la marée.Dans son dos, le chien tournait sur lui-même, à la poursuite d’une queue inexistante.
Vers Douvres, le vent montait doucement. La silhouette d’une jeune femme se découpait sur la digue lumineuse, le souvenir de Marie était présent, tranquille… Sam ébauche un sourire… D’une inconnue, il se souvient de la douceur…
“Il est possible de marcher sur l’eau de la mer juste à la lisière des vagues, sur l’eau durcie par le sable et faire ainsi d’infinis périples sans éprouver le besoin de consulter la moindre carte ni de demander son chemin.” Eugène Sawitzkaya
C’est une brise solitaire, parfumée des senteurs incertaines de l’automne, qui s’engouffre dans les rues du bourg. Elle est chargée des effluves de la marée montante. Un combat paresseux mené à l’assaut des dunes fauves et pâles, les remparts poudreux que garde la sentinelle sentinelle assoupie du sémaphore…
La demie de sept heures approche : Au loin, de l’autre côté de l’eau, sous la danse effrénée des nuages d’altitude, une lueur rose commence à monter.
Considérant le panorama, depuis sa fenêtre, le grand Sam examine plus attentivement l’embarcation qu’il a amenée au sec sur le môle désert avant de rentrer. il a traversé des palanquées de marées ce Zodiaque qui rôde d’ordinaire sur le détroit au rythme des saisons... «Une échappée de plus… » Pense-t-il , levant sa grande carcasse raidie du lit de sangles, antique héritage d’un surplus militaire.
Une sortie de plus… Une sortie qui s’ajoute à toutes les autres de cet exil vieux de cinq ans, et qui déjà s’estompe, comme cette marée de septembre, le grand chambardement des vagues dans le matin blafard.
Une existence bien réglée, sans autre plaisir que celui de pêcher et peut-être de la joie toute simple de peindre, de regarder la lumière, le ciel et la mer, sans penser aux jours anciens. Juste ce qu’il faut pour ressentir la volupté sombre et frelatée de la nostalgie, sans jamais montrer plus d’angoisse qu’il ne faut pour traverser les semaines, les mois, l’existence…
Chaque jour, il se lève avec l’aube et il regarde par la fenêtre dans la lumière feutrée d’une veilleuse, il pense à cette ombre . Il lui parle, il lui conte à mi-voix de menus faits, il la voit même dans le ciel changeant du large.
Les jours s’enfuient comme l’écume mousseuse sur les algues du rivage. Il les sent partir au large doucement, malgré lui, journée après journée, sortie en mer après sortie en mer. Les jours qui fuient vers l’horizon, les nuits ponctuées par le halo du port qui veille sur le travail des hommes. Le temps qui incline sa voile vers un continent dont il n’a plus peur. De quoi devrait-il avoir peur ? De qui ? Peut-être de lui-même, tout simplement. Il a tracé sa route sans se retourner et en s’efforçant de ne blesser personne. Il a vécu comme il a pu, comme la plupart des hommes sur cette terre, qui apprennent très tôt que le monde n’est pas une propriété… Un emprunt temporaire à court terme, tout au plus…
De l’autre côté de la rue, la lumière s’allume dans cette clarté douce qui semblait la véritable couleur du jour. Il y a peu de monde en ce moment, plus d’enfants, la saison est terminée depuis plus de trois semaines. La chaude saison estivale avec ses gamins qui gambadent sur la digue, ses glaces en cornets, pastels frais et odorants. Les soirées douces à la terrasse du café Popieul, à raconter toujours les mêmes histoires de mer… Simplement, cette année, il ne refera plus le monde avec son vieil ami Serge Contesse, le vieux bougre est parti peindre ses drôles de personnages sous d’autres cieux, sous une autre voûte… On se croit mèche, on n’est que suif… Chantait l’autre… N’empêche, ces départs successifs lui laissent un sale goût d’amertume dans la bouche, comme la première bière du jour.
Igor, l’épagneul, n’aime pas la belle saison, la plage n’est plus son domaine. Il n’a plus le droit d’y paraître, il ne lui reste plus que le jardin, insuffisant à son besoin d’indépendance. Septembre annonçait donc le retour des galopades effrénées sur le sable, le furetage délicieux dans les dunes, flairer la laisse de mer à marée basse, la vie…
Humant l’odeur du café, le petit chien roux s’étira et vint se lover contre son maître.
Salut camarade...
Le chien remue la tête, c’est là toute sa conversation et cela suffit amplement à Sam. Il a quelqu’un à aimer, c’était déjà beaucoup si l’on désire que l’existence de temps à autre soit un peu plus supportable.
La bouilloire chante sur le gaz de camping, et, sur la table trône un immense bol bleu. La cheminée ronfle tranquillement, séchant doucement l’humidité des murs. La fraîcheur s'annonce tôt sur la côte.
Sam est sorti dans l’aube légère qui exhalait toujours son haleine salée, un petit matin clair comme un carreau de faïence. Comme chaque jour, il regarde au loin, vers l’ouest qui fait vibrer l’horizon, puis il s’appuie à la barrière de bois peinte en bleu.
Il était maintenant levé, le soleil de septembre, et il lui semble déjà plus brillant que d’habitude, celui-là.
Ce vendredi, certainement, arriveraient des nouvelles du monde d’avant, de vagues amis, perdus de vue depuis longtemps.
Sam était un rescapé de l’apparence… Un naufragé sortit indemne de l’océan du clinquant et du superficiel. Une existence différente, plus âpre, plus sauvage ou naturelle, se cache au creux des dunes…
Une fois la transformation accomplie, les “amis” avaient commencé à se faire plus rares, c'était il y a longtemps, dans un autre monde. Sam s’était arrangé pour les oublier, maintenant il n’en éprouvait même plus le besoin, c’était terminé, c’était trop tard. Les anciennes soirées de lumières illusoires, de dîners plantureux s’évanouissaient lentement sous la poussière de sable et les saisons.
L’éclat de son regard s’était adouci, certains esprits chagrins diraient terni, mais, ce n’était pas là le terme exact. Il n’y avait ni rancune, ni aigreur dans ses pensées, il n’aspirait plus qu’à la paix, il avait vu trop de gens aimés disparaître autour de lui pour pouvoir encore éprouver de la colère. Tout cela était terminé.
Sam était persuadé qu’il existait dans le vent marin venu d’Angleterre, dans le clapotis du ressac, sur les dunes blanches, dans le ciel frais du matin au-dessus de la petite ville endormie, plus de trésors qu’aucun homme ne pourrait jamais en posséder, la paix n’existe que si elle est acceptée.
Il haussa les épaules, retournant dans la cuisine après avoir jeté un dernier regard vers le bateau pneumatique qui s’offrait, consentant, à la marée.Dans son dos, le chien tournait sur lui-même, à la poursuite d’une queue inexistante.
Vers Douvres, le vent montait doucement. La silhouette d’une jeune femme se découpait sur la digue lumineuse, le souvenir de Marie était présent, tranquille… Sam ébauche un sourire… D’une inconnue, il se souvient de la douceur…
“Il est possible de marcher sur l’eau de la mer juste à la lisière des vagues, sur l’eau durcie par le sable et faire ainsi d’infinis périples sans éprouver le besoin de consulter la moindre carte ni de demander son chemin.” Eugène Sawitzkaya
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