« Ma religion est de vivre – et de mourir – sans regrets. » Milarépa
Je m’éveille dans le silence, et je m’endors au chant crépusculaire des canards colverts. Le ciel est immense et rassurant ; les arbres sont chuchoteurs, d’un souffle presque apaisant lui aussi.
Je n’ai plus besoin de m’indigner : à l’aube, il me suffit d’être au bord des champs et de regarder un instant, planté au milieu du vrai monde. Puis je retourne sous la toile, je m’emplis de la lumière du jour et, assis sur les marches face aux étangs, je bois le premier café du matin, l’unique, l’irremplaçable. En général, rien ne bouge, et je n’aperçois que mon petit pote le hérisson du chalet. Je vais parfois à la pêche ; d’autres fois, je considère qu’il est inutile d’aller embêter mes voisines les carpes.
Cette nuit, vers deux heures, il y avait un coq faisan dans la haie voisine. Je ne sais pas s’il attendait sa belle, mais je crois que cette faisane suffisante lui a posé un lapin… La tourterelle de Turquie lui a fait savoir dès potron-minet.
La nature vibre toute entière sous le soleil.
Il existe deux vies, et toutes deux sont en contradiction. La tension et le désarroi, l’indignation permanente et la colère, la course perpétuelle du chien qui court après sa queue et l’enfermement des sens, toutes ces modernes plaies maintes fois évoquées mais jamais éradiquées. L’autre vie est cachée, dissimulée, secrète. C’est aussi la plus complexe à saisir. Peut-être se refuse-t-elle à celui qui n’en a pas conscience ? Peut-être sommes-nous résignés parce que complices ? J’ai vécu la première existence pendant très longtemps, c’est le fonctionnement que je connais le mieux…
En me retirant du premier cercle, mon horizon s’est élargi. Le tumulte n’a pas cessé, tandis que la polémique incessante et stérile tambourine encore à la vitre comme une pluie acide. Aujourd’hui, je bénis ma cécité et ma surdité volontaires face à cette marée de vociférations inutiles. En se retirant du premier cercle, beaucoup de mes contemporains pensent que cesser de s’indigner, c’est cesser de vivre comme si avoir une opinion sur tout donnait une légitimité au déroulement de l’écheveau de leur réalité. Ils se trompent, c’est un leurre, vous n’influez aucunement sur les événements, seule la haine fait des choix.
J’ai bu deux cafés, roulé la première cigarette du matin, salué mon camarade corbeau sur son piquet, lui qui voit tout mais se le garde pour lui, tu es reposant maître Freux… L’air sent la vache et le foin.
Hier, j’ai allumé un feu de joie dans le fumoir avec de la sciure de saule, mes vieilles rancœurs, mes incertitudes inutiles et mes chagrins moisis.
Pour l’ultime ligne droite, je voyage léger…
Le Ryveld, août 2018.
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