Union Station, 28 juillet.
Elle est érigée devant nous, la cathédrale dédiée à la gloire éternelle de la sainte Trinité : Southern Pacific Railway. Elle coche d’une croix géante la perspective bancale, Olvera Street…
Pavée de faïences colorées, ce n’est pas une gare ordinaire dressée dans la cité, c’est un décor Hollywoodien. Avec ses figurants et ses esclaves hypnotisés par la lumière brute de l’acier luisant sur les rails. Aucun prodige ne peut les délivrer du charme de la Cité des Anges. Lorsque la grisaille polluée de la Plazza se dissipe, les fauteuils profonds de moleskine voraces avalent les nababs matinaux, terrassés par l’ennui, usés jusqu’à la corde. Les taxis foncent, immuables, sur le boulevard du temps…
Quartier de Pera, 10 novembre.
Comme un serpent, un long halo de miel s’insinue entre les terrasses fauves qui fument doucement. L’hôtel est silencieux… Les murs de peluche rouge saignent dans le couchant du quartier de Pera. C’est déjà mardi qui s’en va ou bien un autre jour qui te donne des illusions d’éternité. Il y a l’odeur de l’anis, le grésillement du narguilé, des souvenirs enfumés dans le regard des autres . Il y a des femmes brunes et de très vieux marchands. Des musiciens dorment devant des spectateurs usés par le voyage. Une nuit de plus se pose et borde l’enfer dans ses replis soyeux.
Route 66 (Mother Road), 22 novembre.
Le matin succède à la nuit sur la mère de toutes les routes. Le chuintement des pneus susurre un air hypnotique à mes oreilles. Menton râpeux, regard serein, j’arrive dans pas longtemps au comptoir des naïfs. À l’embranchement South Main Street, des fantômes lèvent la main… Je hume l’odeur du vent comme un maigre coyote, j’ai fait provision de courbatures pour la semaine. Les ombres s’allongent, là-bas, vers Santa Monica, sur les traces de Jack le Céleste. Tout au bout du chemin , en pèlerinage…
Quartier Bebeck, 15 décembre.
J’ai devant les yeux les remous du Bosphore qui scintillent, libérés. Après la prière de l’après-midi, je bois du thé ardent avec le marchand de lampes. Istanbul est comme un songe en pointillés. Les filles, ici, portent un anneau au nombril… J’ai une chambre blanche dans le quartier Bebeck. J’ai devant les yeux le reflet des yalis, vieillis, décolorés, fanés, flétris. Cent poèmes oubliés de bois peint et vernis. Avant la prière du soir, je bois le raki… Seul, « Lait de lion », solitude fleurie. Istanbul s’endort, Istanbul s’estompe. Demain, j’irai peut-être, déambuler longtemps sous l’ombre fraîche et l’ambiance désuète de Topkapi. J’ai devant les yeux les ombres d’avant qui s’éloignent dans les feux de midi.
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