Quatre femmes allongées sur un lit immense et rond. Dans la ville bourdonne le tumulte du soir, c’est une fin d’été - Un crépuscule étouffant.
Quatre femmes en harmonie, en osmose. Quatre esprits en songe. Un miroir mouvant au plafond :
AUCUN REFLET...
En un frémissement imperceptible, les cieux se déchirent, se teintent, font briller les tours d’une clarté orange et pourpre. La nuit ferme les yeux des hommes et fait bondir les étoiles. La nuit donne le ton. Dans ce quartier oublié, une maison bourgeoise, haute, toute fleurie de jasmin odorant.
Dans la chambre du second, le souffle régulier de quatre femmes qui reposent…
- Demain, j’avance. Nul besoins d’artifices et de grands discours, qu’importe
les discours, la bête restera tapie, muette et sombre.
- En vérité… Que ferai-je quand tout sera terminé?
- Il reste tant de choses à faire, j’ai vu par la fenêtre un rosier refleurir.
- Moi aussi, je m’impatiente… On ne peut même pas imaginer ce que la suite réservera? Pas encore, pas tout de suite…
- Croyez-vous que la bête périra?
Quatre rêves, quatre respirations inaudibles dans le fracas lointain de la cité. Des lèvres qui sourient sur des visages sereins. Des corps paisibles sur du coton frais.
PAS DE REFLET…
Des femmes, aux quatre âges de la vie. Une grand-mère, les cheveux blancs. Une femme dans la plénitude de la quarantaine. Une adolescente gracile et androgyne. Une fillette rose et potelée comme un bouton de fleur. Des cheveux blancs, blonds, bruns et nattés, roux et frisés… Des yeux de cerne bleu par des veilles sans fin.
Quatre esprits endormis, mais en transes de cette sorte d”éveil que procure l’hypnose…
*
Une meute sans remords, sourde à toute forme de compassion.
Une troupe disparate, éclatée, déambule dans les artères de la cité obscure. accoudée aux bars sombres, accostant les sirènes désenchantées saignant sur le bitume. Haleine chargée, paroles bruyantes, vantardises pitoyables, exploits de Tartarin. Des regards morts qui ne regardent rien, ne distinguent rien.
Néons des bistrots…
Les hommes se posent sur de hauts tabourets, se ruent sur les verres pleins. Gueules ouvertes, babines retroussées, tas de muscles avachis par des soirées poisseuses. Dizaines d’histoires salaces dont ils sont toujours les héros… Un cauchemar éveillé.
Dans les étages, les alcôves et les salons, raclements des chaussures que l’on jette sur le tapis blanc. Voix fortes qui vibrent sur les balcons, Portes qui claquent… Enfants qui se cachent sous les couvertures.
Arrêt sur image. Courts instants de répit. Le visage de la peur un moment aperçu.
Des vêtements arrachés, des poings qui frappent, des nez qui saignent. Rouge peur. Le choc de la bête sur le véritable visage du monde, un crachat sur la tendresse... Un ventre délicat déchiré par la douleur. Hurlements terribles qui inondent la nuit. Terreurs, misères…
Des portes qui se referment sur des histoires brisées, des vies de femmes… Enterrées vivantes… Des souvenirs déchirés comme des photographies que l’on jette après usage.
Il y a le service des urgences. Sous le regard d’une infirmière, une femme étendue sur la civière, nez cassé, sanglote sous la lampe blafarde.
Le médecin regarde les radiographies. Encore une, pense-t-il… Écœuré, inutile, éreinté à l’idée de recommencer encore. Il secoue la tête et frissonne.
Une illumination rapide. Des images terribles emplissent son esprit – fumées grises sortant d’un crématoire, squelettes vivants, puanteurs de crasse qui s’infiltrent partout, des champs de fleurs que l’on piétine.
- Déviation du cartilage, deux, non … Trois côtes fêlées, non déplacées… »
Il regarde la femme allongée, veut lui sourire, mais ne se sent pas le droit. Sous les lumières de ce couloir d’hôpital , tous les hommes semblent perdre leur crédibilité.
Son service terminé, il retourne chez lui, une maison bourgeoise et haute, toute fleurie de jasmin odorant.
Dans la chambre du haut, quatre femmes rêvent…
Le dos à la fenêtre donnant sur le jardin, il parle à voix basse :
- Là-bas, près du jardin public, deux kilomètres vers la banlieue est.
La fillette remue.
-Deux hommes devant un café, ils titubent.
-L’un des deux urine sur la roue d’une voiture… dit la plus âgée.
Les voix sont très calmes, paisibles.
- Oui. Deux hommes, un petit brun et un barbu, pantins dérisoires…
- Ce sera facile » souffle la petite, un petit sourire sur son visage doux.
- Au nord, dans une cuisine, un type de trente cinq ans, il a une ceinture de cuir à la main… Allons-y.
- Il est temps… dit la femme de quarante ans,
- Commençons tout de suite car la nuit sera longue… »
- La lune vient de se lever sur le parc… » annonce la vieille dame.
Quatre femmes allongées vibrent sur le coton frais , main dans la main, une aura violette suspendue, immobile…
Un silence énorme. Et puis… Une mélodie très triste, très belle, très étrange, comme un adagio improvisé s’élève de nulle part, de partout…
- Commençons ! »
Les corps semblent se dématérialiser, les couleurs s’assombrissent et prennent une consistance solide, implacable.
Main dans la main, les quatre femmes aux quatre points cardinaux se préparent à combattre.
*
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