Un matin froid et humide pointe à l’horizon. On dirait un décor de cinéma. Un vieux film expressionniste allemand avec des noirs profonds et des blancs blafards. Les immeubles aux alentours se dressent comme des vaisseaux de guerre. Bientôt débutera la période tapageuse de l’agitation vaine des hommes. l’étrange paysage retombera dans son anonymat industriel, comme une scène de déjà vu, au journal de vingt heures… Toute la magie s’effacera.
Bien entendu tout cela est subjectivité, impressions personnelles. Décrire ce n’est pas trahir la réalité, c’est une interprétation qui aide à vivre. Comme l’écrivait Marcel Havrenne, poète belge et oublié… Dans le halo d’un Louis Scutenaire :
“De la rose longuement et amoureusement décrite, il s’exhalait une agréable odeur d’encre fraîche.” J’aime à ce que mes matins sentent l’encre et le papier, le café également…
Sous les toits de ma ville il y a des pensées qui cabriolent, elles sont paisibles et claires comme des regards de gens aimables que le soleil va éclairer. Des pensées qui gambadent, intemporelles, fragiles et impalpables. Le vent monte un peu, peut-être chassera-t-il les nuages du fanatisme? Les prêcheurs de bonnes paroles, ceux qui par leur silence ratifient de sombres ignominies. Il faut se garder que les pensées s’étiolent et que les passions se fanent et se perdent dans la suie. Elles sont nos libertés…
Un reste de lune pâle fait les murs mystérieux comme des fantômes de comédie - avec leurs ombres bleues, mouvantes le long des rues luisantes.
Les cris plaintifs des mouettes vibrent dans le ciel plombé, les oiseaux gris et blancs aux ailes immobiles font d’éphémères sculptures. Les fenêtres s’allument, et s’ouvrent les volets rivetés, aveugles, la cécité d’une vie sans bois et sans collines. Le pas sonore d’un éboueur martèle le présent. Ils intriguent toujours un peu ces bruits au bord du temps…
C’est malgré tout une contrée fiévreuse de nuages trop bas. En attente d’autres jours, de parfums de blé mûr, de vent marin sur les digues… En attente de frénésie de bonheur, de sarabandes, de serpentins. Un pays bourru et bon enfant qui souvent, malgré lui, soulève son échine. Il règne en cette saison une stase un peu morose comme cette mélancolie légère des dimanches après-midi… Un immuable hiver avec des éclaircies pour rappeler au monde qu’ici l’on a été heureux.
Ce jour, pas de tumultes, nous sommes au-dessus des frayeurs, surplombant l’abîme insondable des jours. Des peines infinies certes, mais la joie de se revoir et de se souvenir de chaque baiser donné et de chaque baiser reçu et de rappeler au monde qu’ici nous serons de nouveau heureux… Nous avons souvent chanté, incendié les rues et les boulevards, au bout des digues venteuses de février. Au bord des trottoirs mouillés où les néons blafards se reflètent aux couleurs criardes des masques grimaçants. Nous avons poussé, nos bras soudés s’étreignant sous la bise, nos chansons déchaînées par la vigueur du vent, nos berguenaeres immenses, parapluies de géants. Nous avons dansé, insatiable, la soif au bec, inventant nos grimaces pour oublier nos peurs. Nous avons soufflé dans les fifres de joie, ballotté par les houles de la joyeuse bande, emporté par les chahuts. Et, toujours, nous persisterons à danser dans les lueurs du jour. Seigneurs du port déroulant le rigodon de notre long périple. Nous trinquerons aux jours meilleurs qui réchauffent la mer, oublierons les chagrins où s’incruste la dureté des temps. Écrasant la grisaille, nous frapperons de nos pieds grelots le pavé luisant des chemins de l’espoir, joyeux lurons de cortèges excentriques. Se gaussant des grincheux, entre la mer et les cieux, nous resterons pour toujours Masquelours…
Mais rien n’est grave et tout est farce… Rire de tout. Comment vas-tu y’au de poêle? Pas mal Akoff!! Et comme l’écrivait notre oublié poète : “Le calembour, ce fils naturel de la métaphore, fait souvent penser au bricoleur qui décroche, en gaulant des noix, une étoile dont il ne sait que faire.”
Il est temps d’allumer un sourire à nos masques, c’est une façon polie de mépriser les temps… Un fifre dans la tête… Il reste l’écriture, ce pratique monologue et une passerelle jetée sur le silence, “Une certaine manière athlétique d’user de la parenthèse et de capturer le lecteur dans un grand filet de points de suspension.” Marcel Havrenne
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